Maison d'Aldenice

Jade la panse bien remplie était à présent seule dans une chambre : Elle s'assit sur le lit douillet et rebondit un peu sur le matelas à eau. Ah oui, ces kanasiens... Elle se rappelle avoir dormi sur ces trucs pendant ces mois à l'internat militaire.
Elle regarde la chambre : la chambre de Rosten.

C'était très étrange de dormir ici. D'avoir passé cette soirée avec sa "belle-famille", raconté sa rencontre avec Rosten à sa mère, gouté aux spécialités de sa famille, regardé les photos des frères de Rosten petits... Et à présent de découvrir la chambre qui avait été la sienne jusqu'à son départ à l'armée.
Aldenice lui en avait proposé une autre mais Jade avait dit que ça irait. C'était plutôt magique et apaisant d'être ici : comme découvrir de nouvelle chose après le départ de quelqu'un. Un peu comme lorsqu'un chanteur sort un titre posthume... L'impression qu'il a toujours des choses à dire et qu'il continue à vous faire découvrir son univers.
Avait-elle droit d'ouvrir ce tiroir ? Cette armoire ? Ces livres ?
La curiosité était trop forte, et après un moment d'hésitation elle se plongea dans l'univers de son défunt ami. C'était émouvant et en même temps le bon moyen de faire des adieux... Car elle comprenait que tout ce qu'elle ignorait de lui elle ne le partagerait jamais dans un dialogue rieur autour d'un repas, d'un verre, d'un moment privilégié. Elle n'aurait jamais plus que des récits, indices, souvenirs froids et figés. C'était la conclusion triste mais essentiel pour passer à autre-chose.

C'est tout de même le cœur ravi de cette superbe soirée avec sa belle-mère d'adoption qu'elle fini par aller se coucher, fatiguée d'avoir écumé la chambre en quête du moindre vestige des secrets de Rosten. Détendue et exténuée par sa journée, elle se laissa tombée sur le lit -très mou- et attendit Morphée.
Qui ne vint pas. Les muscles de Jade se tendaient, sa respiration se faisaient difficile. Purée, nouvelle crise en vue. Jade se releva avant que cela la gagne, comme pour fuir un monstre qui s'emparait d'elle sur l'oreiller. Elle marcha dans la pièce en débardeur et culotte, et fit les sans pas. Elle alla chercher sa flasque et cul sec en avala le fond. Continuer à marcher... pour aider l'alcool à monter. Les larmes aussi montaient mais elle les retenait.
Ce soir, elle ne cèderait pas.
Elle avait du boulot demain, hors de question d'avoir les yeux bouffis. Hors de question d'être vidée. Jade s'était allongée par terre et regardait le ciel étoilée de Kanasa.

Elle s'occupa l'esprit.
Ajito et Hikari... des anges donc. Quel autre genre d'espèces insoupçonnées pourrait-elle encore croiser ? Et si les anges et démons existaient, qu'en était-il de l'au-delà ? Jade détestait l'idée qu'il puisse y avoir une vie après la mort : déjà parce que cela allait à l'encontre de toute logique scientifique... mais surtout parce qu’elle espérait bien que aurait la paix une fois morte elle-même et n'avait pas envie de remettre ça là-haut.
Une vie suffisait largement.

Tout ici était suffisamment vide de sens dans le fait de vivre.
Mouais, c'était pas de bonnes pensées pour se calmer... quoique. Penser à la fin était reposant. Et quand elle était dans son état c'était la seule chose que son cerveau daignait concevoir. La fin. Le calme. L'issue.
La fuite.
Elle regarda sa flasque vide. Ne pas pleurer. La fuite n'est pas une faiblesse. C'est un moyen de survivre. Elle tentait de survivre. C'était courageux vu son amour pour ce monde.

Elle avait mal au dos à force d'être tendue, alors elle retourna dans le lit. Elle s’étouffa avec la couette. Elle calma sa respiration. Elle pensa à l'armurier. Elle pensa à cette prothèse formidable. Elle rêva que cette satisfaction pourrait lui donner un déclic. La guérir. Et si un jour, elle n'était plus... Malade.
Elle laissa son cerveau fatiguer s'évader. Il se perdait dans des débats abstraits. Parfait. Dans quelques minutes elle dormirait. La tempête était passée.



"Bien dormi ?"
Jade les cheveux en vrac (les métamols avaient un don pour le désordre capillaire) découvrit dans la cuisine un Kanasien en plus d'Aldenice. Jade surprise regarda l'homme qui faisait le petit dej'.
"Jade je te présente Biscok. C'est l'aînée de mes fils." Jade sourit devant la ressemblance frappante. Biscok : elle se souvenait.
"Vous travaillez comme cuisinier au château n'est-ce pas ? Pas étonnant que cela sente si bon !" Dit Jade en s'avançant pour se joindre à eux, l'estomac commençant à se réveiller. Elle s'assit, un peu timide, devant son beau-frère fraichement découvert. Elle respira le plat et sans trop savoir pourquoi eut les larmes aux yeux. Parce qu'elle était au milieu d'une famille d'adoption sans doute. Qu'elle était fatiguée et remuée par toutes ses émotions aussi... Et quand Jade finit de s'apprêter pour retourner auprès de l'armurier et de son prothèse qui devait être en cours de fabrication, Aldenice lui déclara qu'elle était la bienvenue quand elle le souhaitait en la prenant dans ses bras : d'abord prise de court, Jade n'avait pas réagit.

"Mon fils m'a raconté que tu n'avais plus vraiment de foyer... Sache que je te considère comme une membre de la famille. Reviens quand tu veux, Jade."
La petite métamole, bien que gênée, ne put cacher à quel point entendre ses mots la touchait et laissa la mère de Rosten la serrer contre elle.

Ce monde n'était pas si vide.
Certaines personnes avaient un sourire si doux qu'il illuminait toute la galaxie.
C'est en pensant à cela que Jade repartit travailler, l'estomac alourdit et le cœur léger.