Ilyes - Un fiston controversé

"Capitaine, êtes-vous réveillé?"

L'appel ne se fit pas attendre. Sitôt les coups furent adressés à la porte de la cabine qu'une main rouge saisit un grand chapeau sur une table en bois. Mais alors, une table en bois qui faisait tache parmi toute cette technologie environnante. N'importe quel regard avisé aurait perçu les quelques trous qui pigmentaient sa surface, vague constat d'une planche naguère rongée par l'humidité. Mais ici même, cette table n'était pas la seule fautive. L'horloge résonnait encore de son petit bruit strident qui en aurait réveillé plus d'un, tandis que les moniteurs électroniques trahissaient cette fois-ci les goûts vintage d'un certain capitaine. Hélas, le temps ne se souciait pas des préférences. Il harassait l'homme qui dormait dans sa chaise. Clic clac.

Bientôt, un regard froid et une crinière blanche comme la neige furent bien vite éclipsés au profit d'un masque de fer et de l'objet de prédilection de tout capitaine: un couvre-chef. Surmonté d'une grande plume écarlate qui se balançait dans les airs, elle traçait son chemin à mesure que son propriétaire enjambait les quelques obstacles qui se dressaient devant lui, vers cette porte d'où il apparaîtrait. D'où il se présenterait. Par conséquent, l'homme n'attendit aucunement pour répondre à cette invitation d'une voix qui se voulait dès lors ferme.

"J'arrive."

Il n'y avait nulle crainte à avoir. D'ailleurs son allure générale, ce grand feutre noir; ce sabre gardé bien accroché à sa taille et cette rapière qu'il portait avec un certain laxisme révélaient désormais à son équipage le fameux maître de ses lieux...

...muni d'une bouteille à la main.

Il soupira et fit quelques pas en avant.

"Bon, je peux savoir quelle connerie vous avez encore fait hier soir pour faire autant de raffut?"

Son regard darda d'abord les mines victorieuses de ses hommes avant de s'écraser sur un filet de sang...puis une marre...puis...

"Ah."

"On a été attaqué, mon capitaine."

Puis un corps. Ou plutôt plusieurs corps dont les coupures ou les blessures démontraient la férocité des combats qui avaient eu lieu quelques heures auparavant. Y songer de nouveau attisa sa migraine naissante. Par dépit, Ilyes termina par se masser les tempes et adresser avec fermeté et lassitude un dernier ordre.

"Ouais, bon. Maintenant que c'est réglé, débarrassez moi de ces corps. Effacez les traces de sang, pour peu qu'on ait une visite, ça ne va pas le faire, et tachez de me trouver des informations sur ces hors-la-loi...Bref, pour le reste, prenez les butins volés et effacez moi tout."

D'un geste de la main, il signa son retrait et rebroussa chemin afin de rejoindre sa loge personnelle. Le silence étant son ami, Ilyes ne se fit pas prier pour refermer la porte derrière lui en la claquant d'un pied ferme. Il avait besoin de réfléchir, de faire le point. Peut-être était-ce pour cela que sa main avait saisi automatiquement une montre à gousset qui trônait encore dans sa poche. Avec fermeté, son doigt appuya sur le bouton du dessus, ouvrit le clapet et révéla l'emplacement des aiguilles sur son cadran. Le temps s'était arrêté: ils avaient désormais un pied à terre. C'était ce que lui avait appris feu l'un des cinq pontes du King's Scarf en la lui offrant.

Voilà maintenant deux ans qu'il avait succédé au Tigre Noir et qu'il s'était reclus loin, bien loin des complots de la Loi et de ses intérêts. Parfois, il doutait sur leurs intentions. Ils apportaient la Paix, mais se cramponnait avec ce triste attrait pour le pouvoir et le gain. Oh, il n'avait jamais trahit les siens. L'idée ne l'aurait même pas effleuré l'esprit. C'était juste que Monsieur le Capitaine travaillait mieux seul. En solitaire, sur son navire, avec son propre équipage. De toute évidence, il avait déjà bien à faire avec les matelots et les ordres données et décryptées par hologramme. La vie avait toujours été pénible et éreintante auprès d'autrui. Mais la paresse n'était pas un mot à prendre à la légère, quand elle pointait du nez, elle trahissait son hôte. Aussi le demi-dragon s'étira, un bras après l'autre. Machinalement, son regard se porta sur la seule étagère qui était fixée à même le mur pendant son exercice. L'espace d'une seconde, il hésita, stoppa ses mouvements pour mieux s'en approcher, et laissa sa main errer près d'un livre, puis d'un autre. Un titre particulier finit pourtant par retenir son attention, ses traits se faisaient moins détendus que de coutume. En ouvrant la couverture, il y vit une note. Elle tomba au sol, sans prévenir.

Drôle de lecture. Elle lui soutira un froncement de sourcils et quelques propos mi-cyniques, mi-désapprobateur.

"Très drôle, Professeur."

Fichu fauve. Sitôt qu'il se présentait à lui comme un sauveur ayant en main les informations liés à ses parents qu'il s'évade dans l'Autre Monde sans dire mot. Parfois, le Capitaine se disait que s'il n'avait pas été l'assassin de cet homme, il ne referait pas le même cauchemar. Il ne revivrait pas les multiples tentatives ratées qui le poussaient toujours à se surpasser. Il ne percevrait pas ce fantôme de professeur qui riait encore de ses échecs, qui truquaient ses exercices pour le voir toujours plus frustré en définitive. Perdre était une plaie. Ilyes le savait plus que quiconque: sa mère l'avait abandonné très jeune et il avait grandi une partie de son enfance dans une famille de pêcheurs. Une famille de rien. Une famille dont il était tenait pourtant ses manières de brutes et ce langage de marins. Ses yeux reprirent contact avec la page et vit des lignes imprévues. Inconnues de sa mémoire. L'homme fit un bond sur sa chaise et se redressa. Elles lui étaient adressées. Frénétiquement, il tourna les pages de ce journal, et constata avec horreur qu'il était presque entièrement remplis.

"Toi qui lis ces lignes, ce livre t'est légué. "

Car il n'est ni excuse, ni remerciement à lui adresser. Même pour l'équivalent d'un père.