Je ne suis pas fou. Je le sais mais en es-tu sûr ? Depuis quelques années déjà j'ai cette voix qui résonne, qui trotte dans ma tête ; elle oscille entre me diriger et m’ignorer, pourtant sa présence me réconforte. Je me complais dans cette dépendance. Je ne suis pas fou mais j'ignore qui est en train de parler. Je dérive, perd pied. Je veux me laisser couler mais elle m'en empêche. Elle me rappelle à moi quand je me noie et me torture quand je fais surface ; me forçant sans cesse à lutter. À nouveau il s'égare. Son esprit flotte dans des paradis artificiels passés. Je ne suis pas fou mais je ne suis pas. C'est ce qu'elle me sussure délicatement. Je ne suis rien et ne serait jamais. Comdamné à croire en mon existence, je préfère m'abandonner à elle.
Douce voix, dis-moi une dernière fois ce que je ne suis pas ; tu n'es pas fou.
On a dormi à l'hôtel les premiers soirs, je m'endormais toujours la première alors qu'il veillait devant les dessins animés. C'était ma première fois à Satan-City, la grande ville en soi. Il me guidait donc à travers rues et avenues lézardant au milieu des habitants ; me trainant du bout du bras -la main. J'ai toujours ignoré s'il savait où il allait mais nous finîmes par arriver. Le quartier était en pleine reconstruction suite à une quelconque attaque. Le chef de chantier, un certain Santos, embauchait n'importe qui pour une poignée de pain. Toute aide est bonne à prendre pensais-je mais à tour de rôle nous refusâmes poliment, plus intrigué par ce qui était déjà rénové. Peut-être est-ce le régime en place où le risque constant de mourir, mais trouver un appartement fût tâche aisée tant peu étaient intéressés. Quelques allés et retours dans diverses boutiques et l'endroit devint habitable pour nos deux personnes. Depuis on végète la tête légère, se reposant sur nos acquis.
Que dois-je faire, que dois-je faire, que dois-je faire. Stan se gratte désespérément l'épaule. On pourrait le croire anxieux mais ce n'est qu'un des effets secondaires de la codéine. Le manque d'herbe l'a forcé à se retrancher sur l'antidouleur. Quelques temps dans le réfrigirateur pour séparer le paracétamol -évitons de nous ruiner le foie- et le voilà parti pour une poignée d'heures sans soucis. La tête vidée, le corps désensibilisé. Plus rien n'a d'importance, il pourrait mourir en ce moment qu'il n'en aurait cure. Il est juste heureux de se rappeler pourquoi il a choisi d'être toxicomane.
En rentrant des courses elle le trouve allongé par terre, le sourire au lèvre. Je t'ai pas attendu mais il en reste dans la bouteille. Boit pas tout. Merci. À son tour elle avale l'amer breuvage et se laisse glisser dans un monde où futilité est d'ordre. Le problème de toutes drogues, c'est que la vie à jeun en devient fade en comparaison. "Et ce désir qui fait courir... Sur une chimère... Sur un souvenir... C'était si bon la première fois." Difficile de trouver une citation plus juste que celle-ci. Je ne saurais même pas dire d'où est tiré cet extrait. Je peux en outre affirmer que dès l'instant où je l'ai lu, il est resté gravé en moi. Un hymne. Une mélodie entraînante qui refuse de s'en aller. Elle tourne et me retourne l'esprit.
Je ne suis pas fou mais j'ai cette voix dans la tête qui me dit ce que je dois faire. Qui n'a de cesse d'affirmer que je me fous en l'air. Est-ce que je réfléchis de moi-même ou ne suis-je que le media, esclave de ma pensée ? Peut-être a-t-elle raison : je ne pense pas donc je ne suis pas.
Je ne suis pas. Tu n'es pas. Il n'est pas. Nous ne sommes pas. Vous n'êtes pas. Ils ne sont pas.