Tout droit sorti des contes les plus anciens, le palais d’or de Héra était réputé pour sa splendeur inégalée ; faite de l’or le plus pur, cette place forte érigée à la gloire des rois de ce monde attirait à elle seule bien des convoitises, si bien que quiconque s’en emparait se voyait garantie la protection absolue de ses biens les plus inestimables. Impénétrable de par l’aménagement de ses fortifications, inaccessible à la plèbe de par sa valeur sacrée, indescriptible de par l’émerveillement qu’il suscite : un tel édifice ne saurait apparaitre que dans les rêves les plus grandioses, une prouesse ancestrale qui ne saurait subir ni le cours du temps ni les hostilités de la planète désertique sur laquelle il avait été construit.
Alors que le grand marché battait son plein et que des cortèges entiers de passants défilaient sous les toiles colorées à la recherche de diverses merveilles, cet envoûtant paysage subit un changement impromptu : la forme majestueuse et imposante d’un navire pourfendit l’océan de dunes entourant la cité royale, avant que le vent ne cesse de s’engouffrer dans ses voiles et que la coque ne s’enfonce paresseusement dans le sable, prête à être amarrée. A son bord, un équipage d’un autre monde, survivants patibulaires mais dévoués d’une époque oubliée des mémoires depuis des siècles. Comme un messie écartant ses fidèles d’un revers de la main, leur capitaine se fraya un passage dans la marée humaine, ordonnant que l’ancre soit abaissée et que le débarcadère soit prêt à les accueillir, s’assurant que plus aucune âme ne soit présente à bord du George Duroy.
Tandis que ses hommes s’affairaient à obéir avec diligence aux instructions qui leur avait été transmises, désertant un à un les planches du ponton, un étrange passager demeurait imperturbable, embusqué en haut du grand mât comme si le vertige était une notion qui ne l’affectait guère, surplombant la beauté architecturale du palace et des somptueux quartiers qui en jalonnaient l’accès. A l’écart des clameurs ordinaires, posant un regard contemplateur sur ce monde dans lequel il n’avait aucune place, sa contemplation parut durer plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu ; l’instant d’après, sa silhouette ne fut qu’un leurre et il réapparut non loin de son homologue à qui il devait la vie — ainsi que la promesse d’un véritable duel, à la hauteur des envies de violence qu’ils partageaient implicitement.
Le mercenaire des sables semblait avoir fort à faire avec leur employeur, en témoignait la rapidité avec laquelle la traversée du désert s’était effectuée : tandis qu’ils filaient entre les dunes avec une cadence régulière mais paisible, convenant silencieusement de leur prochaine destination, le maudit corsaire s’était subitement saisi du gouvernail et une agitation sourde avait traversé le navire de part en part ; à ce moment même, l’étendue aride sur laquelle ils voguaient se changea en un courant qui se fit vers l’est, faisant mouvoir le navire dans son sillage avec une célérité prodigieuse. Chaque seconde ajouta à sa vitesse impétueuse et ce sans même que la moindre bourrasque n’ait eu son influence.
" Je vais là où le vent me porte. " avait lancé le Nombre, lorsque son semblable avait cherché à en savoir plus sur ses futurs desseins, mais il était loin de se douter que ce dernier le prendrait littéralement au mot.
Quelques heures passées en la compagnie du Bel-Ami avaient suffit à l’assassin d’obsidienne pour confirmer que sa première impression de l’homme que l’on disait maudit par les âges était la bonne — arrogant, brutal, égoïste, avec un sérieux penchant pour la violence et une cupidité toujours plus insatiable. Des habitudes de vie malsaines qui reflétaient son caractère impitoyable et ses désirs de conquêtes, avec son assortiment d’anecdotes secrètement murmurées au sein des rangs de son équipage. Des pillages, des massacres, des génocides, des viols, commis aux quatre coins de la galaxie sans honte ni remords. Telle était l’existence à laquelle il s'était volontairement condamné ; guère différente de celle des bandits que le chasseur de l’arche avait démembré par centaines lors de son voyage sur l’hostile Pandore, en apparence, mais l’aura insondable qui subsistait quelques fois et qui tendait à vouloir pénétrer l’âme du Nombre comme la Mort elle-même en disait tout autre. L’Inférieur à Un était accoutumé à toutes ces manifestations dépassant l’entendement du commun des mortels, peu importe leur provenance : il n’était pas sans savoir que la longévité remarquable et les pouvoirs surnaturels dont avaient été doté Edouard le Bel-Ami n’étaient pas l’œuvre de sa propre destinée. Dans l’ombre du mercenaire se dissimulait une entité plus terrifiante, plus insaisissable encore… Mais il était encore trop tôt pour franchir les confins du territoire désolé depuis lequel elle s’arrogeait tout contrôle.
En attendant, leurs chemins devront se séparer jusqu’à ce qu’une nouvelle opportunité survienne — le forban délétère n’avait pas manqué de le lui rappeler une dernière fois avant qu’ils ne s’apprêtent à reprendre le cours de leurs missions respectives.
" Qu’il en soit ainsi. " avait-il déclaré, avant de s’évanouir parmi la foule comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés.