« ...Oui, le terrain était accidenté. Oui, on aurait pu s'y attendre... Oui, c'est peut-être à cause du numéro 87 et ses manipulations gravitationnelles. Non, nous n'y sommes pour rien. Non je vous dis monsieur le Maire. Le Ruban Rouge fait déjà de son mieux pour sortir de là tous les blessés. Oui, d'accord... Merci monsieur le Maire, au-revoir ! »
Sa cigarette exhalait ses derniers crépitements de tabac calciné. Une soufflée de volutes blanches nimba l'écran du cellulaire.
«...Pauv' merde. »
Il fourra le téléphone au plus profond de sa poche afin de s'en distancer le plus possible et réajusta la position de son fessier confortablement engourdi contre son support de cuir. Son bureau au sixième étage était pareil à une vigie au-dessus d'une scène grotesque. Le sol déjà ravagé du quartier était désormais éventré de part et d'autre du stade. Dix minutes après l'incident, l'on avait encore du mal à comprendre ce qui s'était passé. La grande folle en orange venait d'annoncer la fin d'un énième match. L'instant d'après, un gouffre énorme s'ouvrait sous les pieds de tous les malheureux concourants toujours en lice. Un bête glissement de terrain qui, s'il n'y avait eu une centaines de personnes en plein milieu, se serait à peine distingué du reste du panorama.
La paperasse s'annonçait profuse et trébuchante. Au creux de son oreille droite se jouaient les plus belles tentatives de Comedia dell'arte de Cendrétoile. Par-dessus sa voix nasillarde, par effet-tampon celle du Général Copper qui aboyait des ordres tout de go. Le monologue de l'un superposé au soliloque de l'autre offrait bien-entendu une cacophonie indigeste, et l'adjudant contraint de jouer les opérateurs téléphoniques n'en pouvait plus.
« Je vous ASSURE Ladies and Gentlemen ! Tout est sous contrô-ô-ô-l-yeaaaah ! Le Ruban Rouge vous assure que ce WRECK n'a fait aucun blessé grave et que dès que tout-le-body aura été sorti de là les MATCHS pourront reprendre ! »
« Général Copper que devons nous faire de Ma Sénior ? »
Les poings serrés, il était difficile pour Fushia de se contenir pour ne pas copieusement l'insulter et lui rappeler ce qu'était la dignité propres aux mâles. Son mal ne pouvant être pris qu'en patience, il allait honorer sa vingt-et-unième Plucky Strike lorsqu'une troisième voix plus rauque, s'ajouta à son calvaire.
« Szary au rapport. »
« Tiens ! Qu'est-ce que c'est ça ?! »
« Oh ! Comment va la grabataire ?! »
« WHAT'S THAT ? MAIS ?! »
« Général ! Nous avons un problème sur le secteur A-5 ! »
« Quoi encore ? »
« J'ai toujours deux ans d'moins que toi l'ancêtre. Ferm'là faut qu'tu m'écoutes et bien clair. »
Ce parler-jeune mit aux lèvres d'une voix d'une grand-mère bicentenaire faisait quoiqu'il puisse arriver, sourire le soldat aux cheveux roses comme personne.
«Bien clair, c'est promis ! Dis-moi tout ma jolie ! »
« Les ienclis intéressants ont finis leur matchs, on à envoyé un nettoyeur. »
D'un mouvement inquiet, l'Adjudant avait interrompu les autres communications en cours.
« C.. C'était pas au programme ça. C'est un ordre du général ? »
« 'Azy commence pas. J'offre l'occaz' d'accélérer l'plan à balle, et en plus on s'sert d'un ennemi public ! »
« …Raconte ? »
« Le chacal avec des dreads, le crasseux là ! C'est l'Fiend ! T'sais, celui à l'origine de tout ça ! »
« Attends quoi il est avec nous ? »
« Nah, c'est l'rat qu'à fait péter l'quartier ! »
« Mais non ! »
« Mais si ! Guettes! »
En bas, dehors, une silhouette imposante aux yeux luisants allait et venait dans la crevasse fraîche pour aller achever à coups d'acrobaties désarticulées les martialistes ensevelis.
« Ok... J'te suis. Qu'est-ce que je dois faire ? »
« T'es à la régie nan ? Démerd'toi pour être syncro avec lui et éteindre les lumières à chaque fois qu'il disparaît. »
« Putain c'était lui qui faisait ça ! Mais pourquoi avant ça le faisait tout seul ? »
«Tekass ! Aussi faut qu'l'autre bouffon il dise pas n'imp', tu peux lui faire dire que le Fiend à rien à voir avec nous ? »
« Oh, t'inquiètes pas pour ça ma jolie ! »
D'un pas assuré, il bondit de son siège, abandonnant sa clope suppliante et ré-activa la liaison avec les deux canaux qu'il avait mit en sourdine. Il indiqua brièvement au Général qu'il avait la situation bien en main, alors qu'il pianotait sur la table de gestion. D'abord, il éteignit la diffusion en provenance de Durian-Durian, ainsi nul n'aurait à souffrir de son look ou de sa prose. Puis, toutes les secondes, il suivait les mouvements de la créature aux allures bibliques qui déambulait dans la crevasse en semant un chaos qui mériterait bien d'être camouflé sous de la neige télévisuelle. Deux minutes plus tard, c'en était fini. Le Fiend avait définitivement disparu en gravissant le mur titanesque qui cerclait l'agora du muscle. S'armant d'un bras télescopique muni d'une caméra, et redressant à la va-vite d'une main baveuse son pompadour, il gravit les marches en direction de l'étage des invités V.I.P.
« Votre attention, s'il vous plaît ! »
Partout dans la salle, une marée de regards tous chargés d'effrois, d'indignation et d'incompréhension s'écrasait sur lui, partant de la baie vitrée en passant par les sofas hors-de-prix et sans oublier évidemment la caméra qu'il pointait à bonne distance de son minois.
« Vous avez sûrement pu, tout comme moi, chers comparses de la Terre, assister à l'évènement ignoble qui vient de se produire dans l'enceinte de ce stade. La communauté de Satan-City toute entière pleure en ce jour le retour de l'engeance du démon qui à balafré notre ville ! Vous l'avez vus, comme moi ! Le Fiend ! Il est venu une nouvelle fois nuire à la prospérité de NOTRE ville ! Ville qui pourtant s'en remet au monde entier pour s'en remettre d'une attaque lâche, sans merci, sans honneur, sans prestige- Du fait de cet individu que je n'oserais appeler homme ! Le Ruban Rouge déplore à l'heure qu'il est tous les glorieux concourants venus des quatre coins du globe pour célébrer l'amitié, la fraternité du peuple Terrien ! Hélas ! La majeure partie de ces mêmes héros de Satan-City se retrouvent sur des brancards, par la faute de ce démon ! Mais ne nous laissons pas abattre ! Ne nous laissons pas abattre ! Nous ne laisserons pas la terreur occulter le brasier de l'espoir ! Les participants ayant validés leur premier combat continueront à se battre ! Pour le salut de Satan-City ! Pour le salut de la Terre ! Pour le salut de l'âme de ce diablotin !
Pour le salut de l'Humanité ! »
Il exultait. Oui, vraiment, sans nul doute. Nul mot ne pourrait transcrire le niveau d'allégresse pure qui circulait dans les veines de l'adjudant Fushia. Son propre discours d'escroc l'enhardissait, qu'est-ce qu'il aimait se mettre sur le devant de la scène ! Chaque neurone, chaque axiome, chaque enzyme de son corps remuait à toute vitesse pour embellir chaque mot, chaque tournure de phrase. Et parmi toutes les pensées qui traversaient son esprit à très grande vitesse, il se permit d'ajouter sa framboise dans son kirsch.
« On m'a d'ailleurs dit, que notre précieux et adoré arbitre et commentateur, l'artiste Durian-Durian, était tombé sous les coups du pleutre voleur de lumière. Le Ruban Rouge offrira justice à Satan-City, ainsi qu'à toute la Terre, à toute l'Humanité ! »
Dans la salle des convives, on pouvait entendre, ça et là, des rumeurs étouffées au sujet du Fiend. Assurément ! Toute le monde l'avait reconnu voyons, tout le monde y croyait ! Tout le monde le savait ! Qu'il était facile de mener en bateau des gens à qui s'étaient vus offerts des flutes de Moët&Chandon ! Le persifleur aux postiches roses n'avait pas la main sur les sondages des réseaux sociaux, mais il était sûr d'avoir fait un tabac auprès des ménagères derrière les cathodes. Pointant l'écran renseignant des poules du doigt, il annonça :
« Voici donc la suite des rixes en l'honneur de la reconstruction de notre cité ! Acclamez-les bien forts, car ils portent sur leurs épaules le poids de tous leurs camarades tombés des mains de la bête ! Ces six derniers participants donneront tout, pour vous montrer qu'on ne perd pas espoir ici ! »
Laissant les spectateurs contempler la carte des prochains plats et spéculer dessus, il regagna son poste de régisseur pour un temps. Sur son siège, un Durian-Durian rouge de colère l'attendait, les mimines serrées contre un drone qui avait du l'envoyer au sol pendant la coupure imposée.
« J'hope que vous ayez de très bonnes explications ! Qu'est-ce à dire que tout cela nom de dieu ? »
« Oh, salut Ziggy. T'as aimé mon petit speech ? »
« Ce n'est pas du tout ce qui était convenu, je vous ordonne de me give-back un micro ! »
L'adjudant sorti nonchalamment son browning de la commode à sa droite et le pointa en direction des pieds bottés de bleu électrique de l'artiste. « Ecoute, j'ai lu le dossier qu'on à sur toi. C'est pas grave d'avoir une vie aussi minable tu sais. Regarde moi, j'ai les cheveux roses ! Tiens, je vais te laisser mon copain, là. Tu en fais ce que tu veux, mais si j'étais toi j'y verrais un moyen rapide de régler un grand nombre d'erreurs de parcours infligées à mes géniteurs. C'est un cadeau de ma part. »
La porte de contreplaqué claqua docilement, révélant un Adjudant promulgué au rang d'annonciateur et un artiste-bohème au mascara dégoulinant abondamment sur son costume carmin criard.