Défaits, mais vivants... Les démons en maraude !

Qui fait des plans maléfiques ?
Qui crée des nuages toxiques ?

C'est nous, c'est nous !

Qui se cache sous la terre ?
Qui déteste la lumière ?

C'est nous, c'est nous !

Qui a des projets immondes ?
Qui prépare la fin du monde ?

C'est nous, c'eeest nouuus !

Lucifer avait certes demandé à ses serviteurs d'aider à mettre à l'aise ses invités, mais le résultat dépassait toutes ses espérances. S'ils avaient pu d'abord se montrer méfiants, n'osant partager le pain et le sel qu'après s'être assuré qu'il ne puissent leur nuire, il ne leur avait de toute évidence pas fallu bien longtemps pour qu'ils se sentent ici chez eux. Du moins avait-il peine à croire que l'on puisse ainsi se donner en spectacle sans se croire un tant soit peu en sécurité ; il ne demandait pas mieux.
Son propre personnel ne s'était pas fait prier pour se joindre à la performance en gage de bonne foi, suivant ses ordres à la lettre ; ainsi avaient-ils fourni le matériel nécessaire à ceux qui en avaient besoin. Cela faisait quelques siècles déjà que le Dieu-Démon s'échinait à faire d'eux un orchestre digne de ce nom pour passer le temps. Si leurs pattes griffues était naturellement plus adaptées au maniement de la mitrailleuse lourde que du violoncelle, il n'en était pas moins parvenu, à force de persévérance, à tirer d'eux quelques sons harmonieux.

Et à l'aune de ce spectacle improvisé, les interminables répétitions des siècles derniers avaient semble-t-il enfin porté leurs fruits, à moins que ce soit le fait d'avoir finalement d'autres musiciens desquels s'inspirer qui ait permis ces miraculeux progrès. À croire qu'ils étaient faits pour s'entendre ; à tout le moins mettaient-ils tout en œuvre pour le laisser paraître.
Ce n'était certes pas le genre de mélodie dont leur maître avait coutume d'abreuver ses oreilles, mais étant donné qu'il s'agissait ici de suivre ses ordres, ils avaient bon espoir qu'il leur pardonne leur changement de registre. Et puis, de toute manière, la plupart d'entre eux avaient l'oreille si peu développée - à l'exception d'Igor, et encore - qu'ils ne percevaient qu'à peine la différence.
N'eut-il rechigné à délaisser une fois encore ses convives, qui avaient déjà dû se passer de lui un long moment, Lucifer lui-même aurait pu aller chercher sa guitare électrique ; ce serait pour une prochaine fois. Car il y en aurait d'autres, pourquoi pas : cela ne pourrait que les aider à se rapprocher. Pour l'heure, malgré les vapeurs psychotropes qui avaient envahi les lieux - et qui, faute de fenêtre, n'étaient pas près de se dissiper entièrement -, le Comte préféra s'en tenir à une certaine sobriété.

Ayant néanmoins longuement discuté avec Black avant de le ramener auprès de ses compères, il prit le parti de se saisir d'un verre proposé par l'un de ses échansons pour y tremper les lèvres. Ceux-ci avaient été formés à répondre à ses besoin sans qu'il faille le leur demander : sa soif pouvait avoir de fâcheuses conséquences, et leur travail était de s'assurer qu'elle reste sous contrôle à chaque instant.
Ni vin ni stupéfiants n'auraient su faire oublier cette vigilance renforcée au fil des âges, quand bien même le service se fit d'une main plus hésitante que de rigueur. Fort heureusement, pas une goutte ne vint souiller la tenue du propriétaire des lieux ; c'aurait été pour le moins fâcheux. Soulagé d'être parvenu à remplir son rôle malgré son état second, le domestique s'empressa de reposer la bouteille qu'il manipulait avant qu'elle lui échappe des mains, peut-être un peu trop près des autres breuvages.
N'ayant pas vu la scène se jouer, trop occupé à se délecter de sa propre coupe, Lucifer arqua un sourcil circonspect en voyant Black se servir un grand verre du même nectar. S'il ne fit rien pour l'en dissuader, il n'était pas sans s'étonner de voir quelqu'un le suivre dans ce régime si particulier. Peut-être était-ce sa manière d'adopter les coutumes locales ; dans tous les cas, ce qu'il buvait avait l'air de lui plaire, assez pour s'enivrer de l'alcool qui y était mêlé. Et bien soit ; son hôte en prenait bonne note.

N'avoir pas consommé les desserts proposés par Garlic et les siens - c'était donc cela qu'ils avaient préféré sauver dans leur fuite ? - ne l'empêcha pas de féliciter le monarque court sur pattes pour son numéro pour le moins inspiré ; mais oui, peut-être le temps était-il venu de revenir à des affaires plus sérieuses, avant que tous finissent terrassés par les festivités. Bon nombre de leurs aides respectifs jonchaient déjà le sol, obligeant Lucifer à les enjamber pour combler la distance entre lui et les trois compères. Visiblement déjà victime des ravages de la boisson, ses interlocuteurs apprécieraient très certainement de pouvoir parler à moindre volume.

Enfin vint le moment des explications. Le charmant visage du Malin s'éclaira d'un sourire presque attendri lorsque Garlic évoqua l'idée d'attirer des humains dans leurs filets ; une pratique dans laquelle il n'était pas sans déjà avoir une certaine expérience...
C'est cependant le Namek qui se chargea d'expliquer plus en détails ce qu'ils voulaient dire par là, et présenté de cette manière, c'était en effet une façon de faire inédite, même pour lui. De toutes les choses qu'il avait pu faire miroiter aux mortels pour les amener dans son giron, les prouesses martiales n'en faisaient pas partie. L'idée avait le mérite d'être originale : il devait avouer ne pas s'attendre à tant de subtilité de leur part. Sans doute fallait-il y voir les leçons tirées des échecs répétés de leurs approches plus frontales ; considérant que la dernière ne remontait qu'à quelques heures, une telle adaptabilité demeurait cependant surprenante. Positivement.

« Oui, j'ai déjà eu affaire à cet art martial. » crut-il bon d'indiquer lorsque le Namek lui en laissa l'occasion. « J'ai bien connu votre maître... À moins que ce ne soit celui qui l'ait précédé. J'avoue perdre le fil, parfois. » Il fit doucement remuer le liquide au fond de son verre avant de le porter à ses lèvres pour le finir. « Il m'arrive régulièrement d'avoir maille à partir avec les gardiens de la Terre... Je suppose que c'est ce qu'il a utilisé contre moi lors de nos altercations. J'atteste personnellement de leur efficacité. »

Sans aller jusqu'à reprendre la mine effroyable qu'ils avaient pu voir lors de leur arrivée, son sourire se fit plus crispé, suggérant que ce n'étaient pas exactement des souvenirs agréables. Habitués aux situations défavorables comme ils l'étaient, sans doute n'avait-il pas besoin de l'exprimer.
Bien entendu, « régulièrement » était ici à prendre au sens le plus large du terme, quelques siècles - si ce n'est millénaires - séparant bien souvent ces confrontations. Était-ce si surprenant que Dieu et le Diable se soient côtoyés ? Probablement pas, quand bien même ces titres étaient loin de n'avoir qu'un seul propriétaire... Mais si la garde de la Terre avait régulièrement changé de main, Lucifer, lui, était resté fidèle tant au poste qu'à lui-même. Toujours est-il qu'avoir déjà une vague idée de ce dont il était question faciliterait d'autant leur échange. À l'évidence, quoique fraîchement dessaoulé, le grand homme vert était tout disposé à leur en faire la démonstration.

« Je dois admettre que l'idée de pervertir les enseignements du Tout-Puissant n'est pas pour me déplaire...Je possède une salle d'armes qui devrait pouvoir correspondre à vos besoins. Et s'il s'avère que vous vous y sentez trop à l'étroit, et bien, je suppose que nous pourrons toujours descendre à la Cave... » La façon qu'il eut de prononcer ce mot n'était pas sans suggérer qu'il s'agissait de plus qu'un simple sous-sol - terme qui perdait de toute façon de son sens, dans la mesure où le palais entier était d'ores et déjà construit sous la surface. « Suivez-moi. »

Avant qu'ils aient pu changer d'avis, le seigneur vampire les entraîna à sa suite vers l'une des nombreuses portes menant à la salle à manger et le dédale de couloirs qui, dans leur état, ne manquerait pas de leur donner le tournis. S'ils étaient voués à demeurer en ces lieux pour une durée indéterminée, peut-être feraient-ils bien de commencer à mémoriser leur disposition : il ne serait pas toujours là pour les guider... Et il serait fâcheux que l'un d'entre eux voie sa carrière de maître du mal s'achever parce qu'il aura fini dans les catacombes sans plus pouvoir en ressortir. Il ne fallut pas longtemps pour qu'ils arrivent en haut des marches d'un escalier descendant, au sommet duquel Lucifer s'empara d'une torche fixée au mur - dont la flamme brûlait d'une étrange couleur verte - avant d'entreprendre la descente.

« J'ai passé les derniers millénaires à creuser toujours plus profondément. Je pense que nous ne sommes plus très loin d'atteindre le centre de la Terre. » expliqua-t-il à cette occasion. Bien sûr, il n'avait pas foré personnellement - il avait de la main d’œuvre pour cela -, mais il avait supervisé le chantier. S'il n'avait pu s'en occuper ces dernières années, trop occupé à panser ses blessures, il ne faisait aucun doute que l'un de ses fidèles lieutenants l'avait remplacé au pied levé. Ils avaient des consignes claires quant à la conduite à adopter en son absence, de sorte à ce que tout éventuel désagrément ne retarde pas l'avancée de ses divers projets. Celui-ci ne faisait pas exception. « Les parties habitables du château sont les plus proches de la surface, mais j'ai pris soin de placer les autres installations plus en profondeur. Il serait malheureux que les émanations alertent des gêneurs, que ce soit d'énergie ou d'autre chose... »

Profitant d'être en tête de cortège, il renifla discrètement après avoir lorgné en direction de Garlic. Le moins que l'on puisse dire était que ce dernier portait bien son nom - un peu trop bien, en vérité. Une telle senteur pouvait-elle être innée ? Le vampire n'osait y croire.

« Néanmoins, ayant été récemment indisposé, je n'ai pas encore eu le loisir d'aménager les derniers niveaux. Si mes chambres d'amis ne sont pas à votre goût, peut-être voudrez-vous vous y installer : vous aurez ainsi toute la place que vous voudrez. »

En fait de salles d'armes, il en avait plusieurs - mais la plupart était surchargées de matériel militaire, assez pour équiper tous les ogres et démons constituant ses légions. Seule celle où il les emmenait disposait de l'espace nécessaire pour accueillir le duel qu'on lui avait décrit, ses dimensions n'ayant rien à envier à celle d'un terrain de sport, tribunes incluses. Quant à elle, ses murs étaient décorés d'instruments plus classiques, le blanc de ses murs disparaissant sous les épées, haches, hallebardes et autres masses d'armes. De surcroît, le rouge de ses tapis maquillerait à merveille d'éventuelles effusions de sang.

« Après vous. » les invita-t-il à entrer.

À s'y écharper pour son bon plaisir, puisque c'était gentiment proposé.