Sonata - Maestra Young Girl

 


Dans les allées de sa métropole, une silhouette se frotte aux yeux des passants. Invisible, elle se faufile en aval dans ce flot de corps en mouvements. Elle nage entre les feux.

Les mains sur son visage : ne pas respirer le souffle fétide des égouts.

Elle se glisse entre les sinuosités bétonnées d’une impasse. Le battement des incertitudes.

Les mains sur les oreilles: ne pas écouter les rumeurs des moteurs.

Elle disparaît dans l'effervescence des nuages de pétrole. Dans sa précipitation, elle goûte à l'asphalte et aux mégots écrasés sur le trottoir.

Les mains sur son visage : ne pas observer la misère de ces avenues.

Le temps s'arrête. Elle écope ses rêves et leurs espoirs.


Tu n'es pas certaine de pouvoir expliquer tout ce qu'il s'est passé à la Chûtelière. Tu n'es pas certaine non plus de pouvoir distinguer les candidats et leurs identités. Saiyans, humains, demi-ange ou sorcière : cette distinction n'a aucune espèce d'importance. Tout ce que tu sais, pauvre Sonata, c'est que tu as mis du temps à panser tes blessures imaginaires ; celles qu'ils ont éprouvées avant de passer l'arme à gauche sans qu'on ne puisse jamais pleurer leurs pertes. Même pas une sépulture, pour certains d'entre eux. Même pas une demi-tombe pour cacher les crachats de sang qui s'entremêlent à la boue. Rien du tout.

Dans tes souvenirs entremêlés, certains ne méritaient pas la moindre larme, même pas une once de compassion. Peut-être même que ta propre personne ne mérite pas davantage de considération, si on estime que les circonstances de ta naissance relèvent davantage des décisions de Démigra plutôt que d'une malédiction à son égard. Ou plutôt, une insulte, soufflée du bout des lèvres de chacune de ses victimes. Tu détestes songer ainsi, mais l'idée te revient souvent lorsqu'il t'arrive de t'emmitoufler dans tes draps, d'éteindre la lumière pour finalement écouter malgré toi les battements de ton cœur ; ceux-là que ton oreiller ne parvient pas à filtrer. Quand cela arrive, tes yeux restent ouverts dans la pénombre et tu sais, oui, tu sais de manière viscérale que tu ne dormiras pas. Tu sais que la nuit est vouée à être blanche.

C'est comme ça.

Parce que tu te rappelles tout ce qui s'est passé, et pourquoi tu portes dans ton subconscient une peur panique à l'idée de rencontrer le moindre de ses participants : tu ne veux pas repenser à la Chûtelière, mais tes inspirations et la haine que tu portes à l’égard de son organisateur ne sont qu'une extension de leur désespoir et tout en toi renvois à ces purs instants de terreur.

La peur et la rage de vaincre...Ce sont des choses que tu connais. Surtout depuis ces derniers mois. Ce sont des choses qui t'ont accompagné durant tout ton développement de petit soldat parfait et sans visage, efficace et précis, sereinement assurée et accommodant, létale et originale, du stade où tu ne pouvais placer de mots sur qui tu étais, quel regard tu devais arborer le mercredi ou le vendredi pour mener à bien ta mission, et quel sens tu pouvais donner à la mort et à la vie que tu ôtais parfois sans même daigner à en comprendre l'essence. Et, surtout, pourquoi tu prends encore aujourd'hui un malin plaisir à te battre, à te dépasser ou à développer une magie d'une autre espèce, face à ce qui menace ton intégrité…

"C'est une combattante de génie, elle a fait tellement de progrès ! Tenace comme dix diables et talentueuse comme une future magicienne de renom !"

Qu'ils disent.

En toute honnêteté, tu préfères qu'on te foute la paix. Qu'on te laisse faire ce que tu as appris à aimer. Ce qui, pour la première fois, t'a fait sourire. Jouer du piano, travailler tes arpèges, développer tes propres centres d'intérêt...Et ceux qui te disent que « la musique sert à rien » ? Eh bien, c’est un point sensible pour toi. Ils ne savent rien. Qu'ils aillent se faire foutre.

D’ailleurs, tu as un caractère de merde, qu'on te dit. Une grande gueule, qui ne manque pas de tabasser de quelques coups de pied ceux qui t'agacent de trop près. Pour autant, tu es aussi bon enfant sous tes beaux jours et tu sais surtout ce que tu veux : tu as appris à être une jeune femme à peu près équilibrée auprès de ceux qui t'ont recueilli de bon cœur et qui t'hébergent aujourd'hui. Tu entretiens d'ailleurs cette image comme la prunelle de tes yeux et pour rien au monde, tu laisserais tes parents d'adoption être déçus par ce que tu fais et ce que tu deviens. Alors tu fais du mieux que tu peux : tu prépares ton entrée à l'université pour faire tout un tas de choses que tu aimes, tu souris à chaque fois qu'on t'offre un verre d’alcool, en compagnie de tes amis avec qui tu prendras une photo que tu accrocheras forcément sur le mur de ta chambre, et tu portes avec ton style à toi chaque habit que tu choisis dans des sacs de marques beaucoup trop coûteux et surtout beaucoup trop lourds en fin de journée, en étant fière de vivre une vie normale. Comme une jeune femme.

Tu es finalement la preuve vivante qu'on ne choisit pas ses origines certes, mais que l'on choisit ce que l'on devient.

(J'en profite, tant que la fiche n'est pas complète, pour annoncer que je suis ouverte à toute modification ou question de la part des anciens participants de la Chûtelière. Y compris Demigra, s'il veut en parler : je ne souhaite pas imposer une idée, on peut facilement discuter de l'éventuelle évolution de la chose: je me dis juste que c'est une inclusion simple de mon côté. Voilà voilà, je termine la fiche ou ce soir ou demain.)