Homo homini lupus est

L’homme est un loup pour l’homme. Cette phrase, reprise par de multiples philosophes et écrivains au cours de l’histoire, n’est bien sûr pas à prendre de façon littérale. Il y a de nombreuses différences biologiques entre un homme, et un loup. Par exemple, l’un est bipède, et l’autre quadrupède. Cela peut sembler un détail insignifiant, mais nous verrons plus tard que cela a son importance. Il existe différentes interprétations à cette locution. L’une d’entre elles signifie qu’un homme étranger est comme un loup pour un autre homme, dans le sens où il suscite la peur, la peur de l’inconnue. Il existe également une interprétation à connotation violente, insinuant que le loup est dangereux pour l’homme, vorace, et que donc un homme est tout aussi dangereux pour un autre homme, et que les hommes ont une fâcheuse tendance à s’entredéchirer.

Pourtant, le loup n’est pas réellement un danger pour l’homme. Il est de nature plutôt craintive et fuyarde, sauf s’il est affamé. En réalité, cette crainte et cette diabolisation du loup nous provient du personnage principal de cette histoire. De tous les loups, il en est le plus connu, mais surtout certainement le plus grand et le plus méchant. Ou plutôt, il était. Mais, si l’homme est un loup pour l’homme, le loup peut-il lui être un homme ? C’est ce que nous n’allons pas tarder à découvrir. Et en réalité, cela semble plutôt mal parti.

Regardez-moi cet homo sapiens, nu comme un ver, titubant dans le désert, ses pieds s’écrasant contre le sable brûlant, et le corps rougi par les rayons du soleil. La chaleur était accablante, il était déshydraté, suant de tout son corps, la langue pendue devant sa lèvre inférieure. Sa vision se faisait de plus en plus floue. Parfois, il tombait à quatre pattes, et avait envie de reprendre la marche ainsi. Mais, dans un effort surhumain, il parvenait à se redresser sur ses pattes arrières, relevant son buste, penchant la tête en arrière. Puis il retombait, en arrière cette fois, sur les fesses. Mais la chaleur n’en était pas la seule cause. Ce n’était pas facile de se tenir en position verticale, de marcher avec ses deux jambes… en particulier lorsque vous avez l’habitude de gambader à quatre pattes. Car oui, croyez-le ou non, mais cet énergumène aux poils courts et clairsemés et à la belle crinière brûne dégoulinante de sueur, était jadis un loup, immense, majestueusement noir. Un loup qui fuyait son être, son existence, son monde, pour devenir homme, désireux d’entamer une nouvelle vie. Et cela n’allait pas être simple.

Il n’avait plus aucune notion du temps. Depuis combien d’heures errait-il dans ce désert montagneux sans fin ? Il ne se souvenait même plus comment il était arrivé ici. Mais soudain, il entendit un grondement derrière lui. Comme des coups de tonnerre à répétition, sans aucune accalmie. Il se retourna, et entrevit quelque chose d’énorme qui fonçait sur lui à toute allure, sans parvenir à distinguer ce dont il s’agissait. Il porta la main à son front pour abriter ses yeux du soleil, et il lui fallut quelques secondes pour adapter sa vision et avoir une vue nette. C’était une sorte de chariot, noir, avec quatre énormes roues, muni de pointes métalliques et de chaînes, qui avançait par magie sans le moindre cheval pour le tirer, et qui crachait par l’arrière un énorme nuage de fumée. Peut-être est-il nécessaire de rappeler à cet instant que notre cher homme-loup provenait d’un monde d’un autre temps, où la technologie n’existait pas et où la magie régnait en maître, un univers empli de fantaisie. Ce chariot, capable de se déplacer sans problème sur des dunes de sable, transportait plusieurs êtres humains, qui poussaient des cris sauvages. Certains portaient des masques de hockey, ou des cagoules noires avec des chaînes, d’autres avaient des crètes roses ou rouges sur la tête. Nul doute que vous aurez les inspirations.

Le véhicule s'approchait à très grande vitesse, le bruit devenait de plus en plus assourdissant pour celui qui avait une ouïe bien plus fine que les autres hommes, à tel point qu’il dû poser ses mains contre ses oreilles. L’odeur que dégageait la fumée, et qu’il pouvait sentir également de très loin, semblait provenir de l’Enfer et envahissait ses conduits olphactifs si fort qu’il eut l’impression d’étouffer. L’un des hommes à bord du chariot tendit une batte cloutée, et le frappa de toutes ses forces au torse au moment où le véhicule passa à côté de lui. Le corps de l’homme-loup fut propulsé de deux mètres en arrière, avant de s’écraser dans le sable brûlant, tandis qu’un nuage de sable et de fumée vint recouvrir partiellement son corps, suite au dérapage du véhicule.

Il roula légèrement sur le côté de sorte à se mettre sur le ventre, puis se hissa à quatre pattes, toussant et crachant du sable. Et là, une question lui tarauda l’esprit. Avait-il quitté un monde de souffrance pour ressentir encore plus de souffrance ? Etait-ce ça la vie d’un homme ordinaire ? Avait-il cessé d’être un prédateur pour devenir une proie ? Dévorer, ou se faire dévorer, n’y avait-il que deux possibilités, réellement ? L’homme était-il donc un loup pour l’homme ?

Il parvint à se relever avec grande difficulté, et souffla un mot.

“...Stop…”

Mais une chaîne métallique vint s’enrouler autour de ses bras et de son torse, l’immobilisant, avant d’être soudainement emporté par le véhicule à toute allure. Son corps se traînait dans le sable chaud, laissant une trace rectiligne derrière lui, alors que les rires et cris de folie de ses tortionnaires retentissaient. Cela sembla durer une éternité. Affaibli, dans un corps qu’il ne savait maîtriser, celui qui jadis était craint de tous était désormais sans défense. Il fermait les yeux, prenant son mal en patience, avec une seule idée en tête, qu’il se répétait en boucle.

*Je le mérite.*

Et, après un certain temps, tout s’arrêta. Son corps s’immobilisa, à moitié enseveli. Mais le vacarme au dehors continua. Au milieu du grondement du tonnerre incessant, il entendit comme des coups, et des cris. Il lui sembla distinguer une phrase, prononcée avec une voix qui semblait être celle d’un jeune homme :


Puis s’en suivit un hurlement lupin. Un loup était-il venu à son secours ? Si l’homme est un loup pour l’homme, peut-on dire que le loup est un homme pour le loup ?

Après quelques minutes, le calme revint, tout était devenu plus silencieux. L’homme-loup ouvrit enfin les yeux, les plissant d’abord à cause de l’éblouissement du soleil, puis se familiarisant peu à peu. Il entendit quelques bruits de pas dans le sable, qui se rapprochaient. Puis ce qui semblait être la voix d’un enfant.

“Oh mon Dieu, Yamcha ! Il est tout nu ! Vite, couvre-le !”

“Ca va aller ?” demanda le jeune homme, en s’accroupissant à côté de lui.

Il avait de longs cheveux noirs, orné d’un ruban rouge. Sa joue était entaillée et saignait abondamment. Il s’appelait Yamcha, et ce jeune homme venait de le sauver. C’était la première fois que l’on faisait quelque chose de gentil pour lui, habituellement les gens le fuyaient ou le chassaient. Non, ce n’était pas un homme. A ses yeux, c’était un semblable, c’était un loup.

“Je…”

Sa voix était enraillée, il n’avait pas l’habitude de l’utiliser. Les cordes vocales de ce corps étaient encore récentes.

“Ahem… Hm… Me...merci…”

“Y a pas de quoi, l’Etranger ! Mais qu’est-ce que tu fais dans ce désert, tout nu en plus ? C’est eux qui t’ont déshabillé ?”

“Hein…?”

“Oh non Yamcha !!! Ton visage !!!” s’exclama la voix d’enfant.

L’homme-loup remarqua qu’il s’agissait d’une petite bête bleue et blanche aux oreilles de chat, qui lévitait à côté du dénommé Yamcha.

“Ouais, ils m’ont pas loupé ces enfoirés… Ca ressemble à quoi ?”

Soudain, sous les yeux écarquillés de l’homme-loup, la petite bête se transforma en miroir portatif que Yamcha attrapa par le manche pour se regarder. Il poussa un cri de désespoir.

“Nooooon mon visage !!! Mon magnifique visage !!! Comment je vais pouvoir me trouver une copine si je suis défigurééééé !!! T_T “

“...Est-ce… si important ?” demanda l’homme-loup qui se redressait en position assise.

“Si c’est important ?! Mais… T’es bête ou quoi ?! Et enfile un truc, ça devient gênant là !”

“Hm ?... Oh, c’est vrai. Les humains ont de nombreux tabous à propos de la nudité.”

Cette phrase fit hausser un sourcil à Yamcha.
Le miroir reprit sa forme de petit chat flottant, et vola jusqu’à la carcasse fumante du véhicule qui avait été endommagé. Il s’approcha de l’un des corps des voyous gisant autour.

“Hmmm je pense que ça devrait faire l’affaire !”

Il retira le pantalon de l’un des brigands qui faisait à peu près la même taille que l’homme-loup.

“Les humains ? Et tu es quoi, toi ?”

L’homme-loup leva les yeux au ciel, réfléchissant quelques instants.

“Hm… Disons… Un loup solitaire.”

La réponse fit sourire le guerrier aux longs cheveux noirs, qui répondit :

“Dans ce cas, on est deux !”

La petite bête déposa le pantalon sur les genoux de l’homme nu, en fermant les yeux par gêne. Ce dernier entreprit de s’habiller, non sans une certaine maladresse.

“Ce que vous appelez vêtements, ce n’est vraiment pas pratique…” affirma t-il en se débattant avec le pantalon emmêlé dans ses jambes.

Cela fit sourire Yamcha qui le regardait d’un air étonné.

“Me dis pas que tu viens d’un camp de naturiste ou quelque chose du genre ?!”

“Quelque chose du genre, oui.”

“Ah. Heu, enfin, je juge pas, hein ! Chacun est bien libre de faire ce qu’il veut ! Mais tu risques d’avoir des ennuies si tu te balades à poil.”

“Comme ce qu’il vient de m’arriver à l’instant, tu veux dire ?” rétorqua ‘homme-loup en continuant de se débattre avec le pantalon.

“Ouais. Enfin, non ! Ca n’a rien à voir, je ne pense pas que ça soit pour ça qu’ils s’en sont pris à toi ! Ou peut-être en fait, j’en sais rien… Bon, Plume, tu veux pas l’aider ?”

“Hein ? Pourquoi moi ?!”

“Et bien… Parce que c’est un homme… et que… c’est gênant si c’est moi qui l’aide à enfiler son pantalon, enfin je vais pas te faire un dessin, dépêche-toi de l’aider !”

“Ah non alors ! C’est à toi de l’aider, après tout tu es un homme toi aussi ! Vous avez le même machin !”

“HEIN ?! MAIS PARLE PAS DE CA DANS UNE HISTOIRE POUR ENFANTS VOYONS !!!”

“Et voilà.”

L’homme-loup finit par se relever, le pantalon enfin enfilé.

“C’est un peu fastidieux à mettre, mais ce n’est pas inconfortable. Je me sens plus protégé, au niveau de-”

“OUI ON A COMPRIS JE CROIS !!!” s’insurgea Yamcha.

“Au fait, moi c’est Yamcha, le Roi du Désert !”

“Je connais déjà ton nom, ton animal domestique t’a appelé tout-à-l’heure. A propos, est-il comestible ?”

“Hein ? Mais ça va pas ?! Plume est mon meilleur ami, et non, il n’est pas à manger ! Comment tu t’appelles ?”

“Un nom…? Hm…”

Il réfléchit quelques instants.

“Tu peux m’appeler Wolf…”

“Wolf ? Pas très original, pour un loup solitaire.”

*Un loup, qui vient des bois…*

“Wolf…wood... Wolfgang Wolfwood ! Tel est mon nom.” affirma t-il, fier de sa nouvelle trouvaille.

“Mais dis-moi, Roi du Désert, pourquoi es-tu intervenu pour sauver un étranger, que tu ne connais ni d’Adam, ni d’Eve. J’imagine que tu es dans le camp des gentils.”

“Gentil ? Ne te méprends pas ! Je ne suis pas gentil ! Parfois, je me mets dans un état méconnaissable !” rétorqua Yamcha.
“Je suis un Voleur, et le monde n’est pas si manichéen !”

“Il l’est, là d’où je viens. Alors, ton acte était-il purement altruiste ?”

Yamcha se gratta légèrement l’arrière de la tête, comme embarrassé, avant de tourner le regard vers les brigands.

“Il y a toujours des choses intéressantes à récupérer chez les Pillards du Désert, et en plus ils marchent sur mes plates-bandes. C’est pour eux que je suis intervenu, pas pour toi.”

“Quoique tu en dises, tu as pris un coup pour moi. Je ne l’oublierai pas. Il est de coutume de remercier une personne lorsqu’elle nous vient en aide, me semble t-il. Hélas, je ne sais comment le faire.”

“C’est pas la peine, ne t’en fais pas. Je suis un voleur, mais j’ai quand même un sens de l’honneur. J’allais pas laisser un pauvre type dénudé se faire traîner dans le sable sur des kilomètres… Ecoute, on ne croise pas beaucoup de monde par ici, en dehors des pillards. Que dirais-tu de partager un repas avec moi ? Il me reste une cuisse de T. Rex, et nous devons panser nos blessures.”

“Ton hospitalité me touche sincèrement, mais je…”

“Je sais, tu es un loup solitaire, pas vrai ? Tout comme moi… Mais un peu de compagnie ne nous fera pas de mal, pas vrai Plume ?”

“Oh oui alors !”

“Hmf…”

Wolfgang détourna le regard, fixant vaguement un point sur le sable à quelques mètres. C’était inhabituel pour lui d’être invité, et même d’avoir un échange qui n’était pas violent avec un individu. Il lui semblait avoir trouvé un égal, pour la première fois. C’était une bonne opportunité de devenir autre chose, de commencer une nouvelle vie.

“Très bien. J’accepte de goûter à cette cuisse de T. Rex, c’est un plat que je n’ai encore jamais mangé.”

"Tu ne le regretteras pas, mon ami !"

*...Ami...?*

Yamcha fit les poches des quelques pillards et prit quelques armes qui traînaient ça et là, puis quitta les lieux avec le mystérieux Wolfgang et son vieil ami Plume.