Docteur Géro

”Nozéa ! Nozéa !”

Un homme trapu courait dans un bâtiment glacialement blanc. Il n’avait pas fait d’exercice depuis des années, et cela se voyait sur son front dégarni. Des perles de sueurs coulaient de ses rides jusqu’à son double-menton, s’arrêtant parfois à sa paire de binocles ignoblement rondes. Dans ses vêtements de bureau trop beaux pour être utilisés comme tenue de sport, il courait à toute allure, manquant de se casser la figure à chaque titubation causée par les talons un peu trop élevés de ses souliers. Bousculant ses collègues de travail sur le chemin, il finit par atteindre la réception, avant de commencer une phrase…

“Madame… Madame…”

Il haletait bien trop fort. Il avait du mal à commencer sa phrase, sa gorge enflammée produisant trop de salive causée par un effort si surhumain. Il regardait, plein de sueur, la réceptionniste apeurée par son comportement.

“Où se trouve… le docteur Nozéa ?”

Par timidité, ou peut-être par le stress imposé par la vue de son supérieur en train de courir comme un fou furieux, elle ne sut quoi répondre, et préféra pointer du doigt la sortie. Un vieil homme venait de quitter le bâtiment, les mains dans les poches, le pas lent et tranquille, avant de prendre un virage dans une petite ruelle. Cela n’empêcha pas le petit gros de le rattraper à toute allure. Quittant son lieu de travail, un bâtiment blanc ressemblant à une demi-sphère posée à plat sur le sol, il hurla à nouveau.

“Nozéa !...”

Le susnommé se retourna alors, pour voir son camarade plus large, aux cheveux en bataille. Du moins, le peu de cheveux qui lui restaient, son gros crâne réfléchissant le peu de lumière qui les suivait dans la ruelle. Le gras dans son coup se mélangeait à sa tête ronde pour former une tête grotesque ressemblant à un obus dressé vers le ciel, et ses binocles lui arrondissaient les yeux. Sa bouche grande ouverte et sa peau suintante ne pouvaient lui amener quelconque dignité. Il reprenait sa respiration. Nozéa ne souriait pas face à un individu aussi ridicule.

En effet, quand bien même il était loin d’être professionnel, c’était simplement quelqu’un de difficile. Il n’aimait pas rire. Contrairement à son collègue, il n’était pas illuminé par les brins de soleil s’infiltrant dans la fente entre les deux bâtimenets. Son crâne à lui, dégarni, ne brillait pas. Sa moustache ample non plus. Contrairement à son collègue, il préférait un gilet par-dessus une chemise bouffie. Plus pratique et terriblement chic.

”Qu’est-ce que tu veux, Falzar ?”

“Qu’est-ce que je veux ???” rugit l’autre, en agitant devant lui une poignée de papiers et de documents. “Je veux des explications ! Tu vends toutes tes actions, tu balances une lettre de démission à ma secrétaire et tu t’en vas comme si de rien n’était ? Après avoir dilapidé MON argent ???”

”Ah !” s’exclama Nozéa en croisant les bras, ses sourcils relevés par stupéfaction. Ses paupières ne l’étaient pas. ”C’est très simple, Falzar. J’ai financé mes projets, j’ai caché les dépenses, et j'ai démissionné avant d’avoir à tout rembourser. Je t’ai arnaqué.”

“Ce n’est pas comme ça que ça se passe, imbécile ! J’espère que tu as payé des avocats, avec ma thune, parce que je vais porter plainte ! Je vais te noyer sous les remboursements que tu me dois !”

Nozéa pencha la tête avant de plisser les yeux de façon excessivement mécanique. Il sembla réfléchir un instant. Son visage ridé, caché dans l’ombre, semblait presque métallique.

“N’essaie pas de m’emboucaner, Falzar. Ton argent était loin d’être blanchi. Cette entreprise était condamné à faillir dès le début.”

“Quoi ??” Les yeux de Falzar s’écarquillèrent d’un coup. “Comment oses-tu dire ça ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Comment tu peux m’accuser d’une chose pareille ? Je t’ai donné un travail ? Je t’ai sauvé, espèce de vieux clochard !”

”Tu n’as sauvé rien du tout. Tu as vu un vieil homme bricoler une montre dans un fast-food et tu l’as approché avec un faux nom. ‘Falzar Brief’, quelle blague ! ‘Le beau-frère oublié de Bulma qui essaie de récupérer son argent’ ? Je n’y ai pas cru une seule seconde.”

Nozéa haussa des épaules, son visage fripé se tordait petit à petit alors qu’il commençait à esquisser un sourire avec beaucoup trop de dents pour un homme si vieux. L’autre était bouche bée. La sueur qui coulait sur son front s’était refroidie.

“Tu m’accuses… de t’avoir manipulé ?”

”Oui. Les scientifiques qui se ruent vers Satan-City pour se faire embaucher par Capsule Corporation sont très nombreux. Ils sont intelligents, mais ne sont pas malins, ce qui en fait des cibles faciles pour les vauriens créant de fausses entreprises servant à laver de l’argent sale, avant de faire faillite.”

Il leva alors son index vers sa tempe pour se tapoter le crâne, mettant l’emphase sur son gigantesque intellect. ”Je ne suis peut-être pas un économiste, mais je suis un fin informaticien. En moins d’une minute, je me suis infiltré dans ton ordinateur, et j’ai eu accès à tous tes mails. Je dois admettre que tu n’étais pas créatif avec tes descriptions à mon égard.”

Un vieux pigeon ? Sérieusement ? Nozéa était un véritable intellectuel ! Un prodige de la bioingénierie et la robotique ! Il avait croisé les bras en tapotant du doigt sur ses coudes, le visage baissé et les yeux fermés, sourcils froncés. C’était son égo qui parlait. Il justifiait son génie. ‘Falzar’ grinçait des dents, une expression de rage sur son visage. Regardant à droite, puis à gauche, il vit un vieux tuyau rouillé dans une benne à ordure. Observant Nozéa avec attention tandis qu’il radotait, il posa la main sur le tube de fer, avant de charger le vieux grincheux !

Mais lorsqu’il descendit le fer sur le visage du vioc, il remarqua que ce n’était pas le crâne fragile d’un géronte orgueilleux qui venait d’être fendu, mais son arme improvisée. Nozéa rouvrit lentement les yeux, avant de voir le tuyau tordu dans la forme de son crâne comme dans les vieux dessins animés que l’on montrerait à un gosse.

”Ne t’épuise pas, Falzar. Je ne suis plus un pauvre mortel comme toi.” Il attrapa alors son ancien collègue par le col, avant d’élargir son sourire en penchant la tête sur le côté d’un air moqueur. Falzar grinça des dents avant d’hurler de peur quand il se rendit compte qu’ils n’étaient plus dans la ruelle qui les abritait jusque là, mais dans les airs. Non, ils volaient de plus en plus haut ! C’était tout simplement trop rapide pour qu’il s’en rende compte !

”Mon nom est C-20. Je suis le cyborg le plus perfectionné du Ruban Rouge. Mais mon vrai nom est Géro.”

Falzar, les jambes agitées dans tous les sens alors qu’il était pris d’une panique de plus en plus intense, les mains agrippées au bras de son ancien collègue, observait avec terreur son reflet dans le crâne de Géro, légèrement abîmé par son attaque. Sous une fausse peau se cachait un dôme de verre, et il observait avec horreur la machine qui se trouvait derrière. Il commença à hurler davantage. C-20, lui, plaça sa main libre derrière son dos, avant de se préparer à monologue davantage, adorant le son de sa propre voix.

”Je me fiche bien de ton vrai nom, Falzar, et d’où tu as trouvé ton argent. Il ne m’a servi qu’à expérimenter. Je n’ai fait que tâcher de construire des machines capables de reproduire des vraies émotions. Mes expériences précédentes ne m’obéissaient jamais. Trop stupides, trop rebelles, ou reproduisant des clichés de film. Ma seule réussite fut de rendre la plus puissante d’entre elle pacifiste. C’était mon seul succès.”

Falzar commençait à s’arrêter de haleter, petit à petit. Sa sueur se faisait de plus en plus froide alors que sa respiration s’alourdissait. Son regard se faisait vitreux.

”Si j’avais besoin, admettons, que l’on annihile un misérable saiyan aussi stupide que gâté par la vie, il faudrait que je parvienne à créer une machine capable de véritable courroux. C’était ma logique lorsque j’ai transmis mon cerveau dans une machine, mais elle était fautive. Cela restait ma rage, simplement placée dans un autre corps. Même jusqu’à présent je ne suis pas parvenu à créer quoi que ce soit de capable de concevoir sa propre véritable haine.”

Falzar ne semblait plus écouter, mais ce n’était pas grave. Géro observait le soleil avec ses yeux inhumains, sans avoir peur de se les endommager.

”Mais malgré ces échecs, Falzar, j’ai fait des progrès formidables. Tu as été instrumental dans ma quête du progrès. Je suis à ça d’atteindre mon but. Et quand j’aurai enfin conçu un androïde dont la haine est capable de rivaliser avec celle d’un saiyan…”

Il lâcha Falzar, qui ne tomba pas, ni ne continua de s’élever. Il resta simplement là, avant de s’en aller au loin, frigorifié par le froid de l’espace alors que Géro fixait le soleil depuis le sommet de la couche d’ozone, continuant sa tirade malgré le manque évident d’air qui l’entourait.

”...alors je pourrai les exterminer, jusqu’au dernier.”