Où suis-je ?
Je ne sais pas.
Que fais-je ?
Je ne sais plus.
Ouvre les yeux.
Du sang.
Ferme les yeux.
Des cris.
C'est liquide et visqueux, et ça sent mauvais.
Une douleur au ventre. Mais je ne suis pas blessé.
Je vomis.
Je baigne dans le sang de mes camarades et dans mon vomi. Je baigne dans les tripes de mes amis. Éclatés comme des ballons. Les morceaux éparpillés. Partout. Sur le sol. Sur les murs. Sur le plafond. Sur mon visage. Sur mes vêtements. Des morceaux de cervelles et de crânes partout sur moi. Je suis couvert de sang. Pas le miens.
Mais je ne suis pas blessé. J'ai mal à la tête. Mais je ne suis pas blessé. Mon âme est froissée, mon esprit fracturé. Mais je ne suis pas blessé. Le monde n'existe plus. La réalité m'échappe. Et mon cœur est blessé.
Des cris, et des pleurs, et des éclaboussures. Partout, tout le temps.
Je suis paralysé. Tétanisé. Terrorisé. Mais je ne suis pas blessé.
Je vais mourir. Elle va mourir. Ils vont mourir. Nous allons tous mourir.
Elle est déjà morte. Je ne le suis qu'à l'intérieur. Je voudrais la rejoindre. Moi aussi, je veux m'envoler. Exploser, comme un ballon. Repeindre mes camarades avec mon sang. Quitter ce cauchemar. Quitter ce monde. Je veux la rejoindre. Mais je n'y arrive pas. Mes jambes ne répondent plus. Mes bras ne répondent plus. Je baigne dans leur sang et dans mes larmes, nous plongeons tous dedans, serrés les uns contre les autres, en attente du prochain sacrifice.
J'espère que je serai le prochain. Je ne veux plus vivre. Je veux la rejoindre. Je veux la suivre. Je veux que mon cœur explose, lui aussi. Tue-moi. Achève-moi. Ma vie n'existe plus, tu l'as détruite. Finis le travail. Monstre cruelle.
Je voudrais m'échapper. Arrêter de penser. Arrêter de regarder. Arrêter d'entendre. Arrêter de sentir. Ne plus ressentir. Plus de peine, ni de peur. Plus de souffrance. Plus de douleur. Par pitié. Fais cesser la douleur. Que cela cesse.
Pleurs, cris, sang, larmes, viscères, explosions, crânes, et au milieu de tout cela, son rire cruel qui résonne dans toute la salle. Que cela cesse.
J'ai mal. Je ne suis pas blessé, mais j'ai mal. Mal à la tête. Mal au cœur. Mes yeux piques. Mon visage est humide. Une boule dans la gorge. Une envie de vomir, encore, pour se mélanger au sang et aux tripes et à ma pisse et aux mauvaises odeurs. Je n'ai pas pu me retenir. J'ai trop peur. Ils vont se moquer. On s'en fout. On va tous mourir.
Sophie. Pourquoi tu es partie ? Pourquoi elle t'a choisie ? Reviens, ma chérie. Ne me laisse pas ici. Ne meurs pas. C'est impossible.
Qu'est-ce qu'il se passe ?
Je ne comprends pas.
D'où c'est venu ?
Je n'en sais rien.
Pourquoi tout ça ?
A quoi bon continuer ? Je ne peux le faire sans toi. Sophie, ma Sophie, reviens.
Salope. Sale pute Saiyanne. Crève sale connasse. Va pourrir en Enfer. Je te déteste. Meurs. Meurs meurs meurs meurs meurs !
Je t'aime, Sophie. Ne meurs pas. Reviens-moi. Ne t'en va pas. Reste. Reste reste reste reste reste !
Elle est partie.
Elle ne meurt pas.
Elle est morte.
Elle nous tue.
Nous mourons. Nous mourrons. Nous sommes déjà morts. Crève salope.
Le rire cruel a cessé. Elle s'est battue. Elle a perdu. Contre des inconnus. Ils nous ont sauvé. Que reste t-il à sauver ?
Il n'y a plus rien, dans ce lycée. Plus de Sophie. Plus d'amis. Plus de profs. Tous morts. Que du sang, et des boyaux et des ossements. Au fond de nous, nous sommes tous morts. Nous n'avons plus rien à quoi nous accrocher. Nous n'avons pas été sauvés. Nous avons été maudits. Condamnés à ressentir cette souffrance pour l'éternité. Aucune échappatoire possible. C'est la fin. Le Jeu de la Reine prend fin. Et ma vie s'achève.
Merci aux héros, merci à nos sauveurs, merci de nous permettre de souffrir pour le restant de nos jours. Vous serez acclamés, applaudis, vénérés. Nous, pauvres misérables terriens insignifiants, nous avons tout perdu, et nous souffrirons en silence, dans l'ombre de votre gloire.