Tobi et Eliza

Le destin. En voila un mot détestable. Il n'existe pas, ce destin dont vous parlez. Les rencontres se font, les masques tombent, les visages se déforment et se tordent. Et de tout ça ne déborde que d'heureuses, -ou malheureuses le cas échéant - coïncidences qui font et défont les liens. Rencontrer Tobi en cet endroit indéterminé en cet instant indéterminé n'avait rien du destin. Une coïncidence rigolote, qui n'en est peut-être pas une, mais ne relève certainement pas soyez-en sûr, du destin.

Le destin. En voila un mot formidable. Qu'il est beau, de se dire que la rencontre fortuite de deux personnes ivres fut l'oeuvre du destin. De se dire qu'un rien est un tout, que chacun de nos mouvements, que chacune de nos inspirations et expirations ne soit effectivement... le destin. Un avenir immuable. Ô non, loin de nous tout fatalisme. Ce n'est pas que le destin décide de tout pour nous avant même d'avoir eu le plaisir de le vivre. Ce n'est pas un Dieu pervers qui s'amuse de ses créatures. Tel un enfant s'amusant à retirer ses ailes à un insecte avec un plaisir nihiliste non dissimulé d'essayer de deviner sa réaction. Non. Le destin, c'est seulement une philosophie d'optimisme. Le destin, c'est d'avoir rencontré ce mystérieux homme masqué en ce soir quelconque. Et se dire que si cette rencontre a eu lieu, ce n'est pas juste parce que l'alcoolémie latente de ses protagonistes leur a transmis une envie d'auto-flagellation. C'est aussi et surtout parce qu'il aurait été décevant qu'elle n'ai pas eu lieu. En quelque sorte, et par un processus d'enchaînement de raisonnements qu'il serait peine perdue d'expliciter, on aurait pu considérer que croire au destin, c'était de croire au bonheur. 

Mais quel raisonnement futile et velléitaire. Car s'il s'agissait de croire ou de ne pas croire, la diva savait bien que "Savoir" valait toujours mieux que "Croire". Et le destin, elle n'y croyait pas plus qu'elle ne croyait à l'intelligence de son nouveau partenaire de jeu.

Est-ce que ce petit merdeux venait de la confondre avec une prostituée ? Le genre à se vendre sur la place de la gare aux quelques clodos alcoolisés à la Bière bon marché et nourris aux restes de vomi de leurs collègues étudiants qui auraient eu la délicatesse de leur laisser une pièce ? Le genre de péripatéticienne prête à se vendre au premier Tobi venu, en sommes ?

Eliza en avait gros. Elle aurait pu se plaindre et crier à la révolution, le menacer de lui limer les dents à coup de lames de rasoir et de lui sectionner la Gerve avec vigueur à coup de dents. Si elle avait osé poser les lèvres sur le triste bout lépreux et nécrosé, bien entendu. S'il était nécessaire de choisir, c'est plutôt dans les douves d'un château volant qu'elle l'aurait balancé pour lui rappeler quelle est sa place. 

Elle cracha un glaviot de sang au masque de Tobi pour mettre fin à cet échange, vexée d'avoir eu affaire à si rustre individu.